OLYMPIENNES ET MARSEILLAISES

Entretien exclusif avec Gilles Agnel, coach de Nîmes-Métropole

10 Avril 2015, 00:46am

Publié par Philippe Serve

Entretien exclusif avec Gilles Agnel, coach de Nîmes-Métropole

 

Par Philippe Serve

Son club de Nîmes, la D2, l’OM, et bien sûr le choc au sommet de dimanche prochain et ce qui suivra, avec une probable accession en D1 pour l’un ou l’autre club : GILLES AGNEL,entraîneur de l’équipe leader du groupe C, Nîmes-Métropole, n’a éludé aucun sujet, répondant toujours en profondeur et avec une grande chaleur. L’occasion de découvrir un homme passionné et passionnant, à la philosophie de jeu et de vie très proche de celle de Christophe Parra. Une très belle rencontre. Un grand merci à lui pour m'avoir accordé plus d'une heure de son temps.

« La stabilité et l’esprit familial du club font qu’aujourd’hui les résultats sont là. »

Gilles, bonjour. Avant d’aborder le match de dimanche, quel regard portez-vous sur la saison en cours de Nîmes-Métropole, au regard des objectifs fixés au départ ?

Ça fait trois années que je travaille avec Nîmes-Métropole en compagnie d’Emmanuel Gros [co-entraîneur] et de Gabrielle Taves, la préparatrice physique. La première était un peu compliquée, une année de mise en place, et puis la saison passée a été plus que correcte. Nous avons eu l’opportunité de faire quelques signatures en renfort cette année. Il n’y avait pas d’objectif vraiment précis au départ, à la base, sinon finir sur le podium et prendre beaucoup de plaisir cette année, et puis bon, les éléments et les matchs ont permis ce bon parcours en début de saison. Maintenant, ça touche à sa fin, on a un peu relevé les objectifs, c’est une continuité du travail fait depuis trois ans avec Manu Gros et Gaby Taves.

À quoi attribuez-vous votre réussite ? Je rappelle que vous vivez votre 5e année consécutive en D2 et que l’an passé vous aviez terminé 2e, mais assez loin d’Albi (à 15 points). Où se situent les raisons de ce saut qualitatif ?

On n’a perdu personne, à part deux arrêts de joueuses qui sont restées au club pour s’occuper des U19 et de la DH. Donc, déjà on a gardé le même groupe en bénéficiant de renforts de qualité avec des filles comme Ludivine Diguelman, Élodie Ramos, Zohra Ayachi [trois joueuses en provenance de D1 et du MHSC], et que le travail fait depuis deux ans porte tout simplement ses fruits. Le club est aussi en train de se structurer de plus en plus. Deux saisons déjà que l’on a des U19, mais aussi aujourd’hui des U16, des U13, des U11. Le club grandit depuis 3 ou 4 ans, et je dirais qu’aujourd’hui il est logique de voir Nîmes-Métropole aux avant-postes. Alors, on ne pensait peut-être pas le voir aussi vite, les résultats sont un peu en avance sur l’agrandissement du club, mais la stabilité et l’esprit familial du club font qu’aujourd’hui les résultats sont là.

Gilles Agnel (à g.) et Emmanuel Gros

Vous entraînez en binôme, avec Emmanuel Gros depuis trois ans, est-ce facile de fonctionner comme ça, à deux ?

Chacun a sa personnalité. En fait, on fonctionne même à trois, puisque Gabrielle Tavès s’occupe de la préparation physique.  C’est d’ailleurs assez rare qu’une femme s’occupe de ce secteur, que ce soit chez les filles ou chez les garçons. Manu a plutôt un rôle de coordonnateur sportif où il fait le lien entre la DH, les U19 nationaux et nous, et puis le fait de prendre du recul lui permet d’avoir une hauteur de vue. Moi, je suis un peu plus près du terrain. Et je vous dirai que six yeux valent mieux que deux. À un moment donné, pour déceler où on doit progresser, quelles sont nos lacunes, avec six yeux on a un meilleur rendu qu’avec deux. Il existe une bonne entente entre les trois personnes, aucun n’empiète sur le domaine de l’autre, ce qui fait notre force.

Il arrive que vos six yeux aient des visions différentes, voire totalement opposées ? Comment ça se résout ?

Absolument. Comme je l’ai dit, chacun a sa partie bien définie, mais lorsqu’on a des différences sur des choix ou des options, on en parle dès le jeudi, on s’appelle dix à douze fois dans la journée pour trouver les meilleurs compromis et solutions pour le club. Il existe un emboîtement parfait entre nos différentes fonctions. Aujourd’hui, ça tourne bien. À l’inverse de Christophe Parra et d’une partie de son staff qui sont certainement professionnels, c’est leur métier, nous en avons un en dehors du football. Donc, si on voulait tirer la couverture à soi, on se retrouverait vite esseulé. Pour pouvoir bien fonctionner, et vu que notre travail nous prend beaucoup de temps, il faut aussi une bonne entente, et c’est le cas. Vous savez, l’ambiance du staff rejaillit sur le groupe. Il ya aussi une personne qui est très, très importante pour nous : le Président Christian Taves qui insuffle l’état d’esprit de l’ensemble et est la mémoire vivante de ce club. Son aura, son charisme, son dévouement, il  donne l’état d’esprit à suivre, et on ne peut qu’adhérer à ses idées.

Depuis combien de temps le club existe-t-il ?

20 ans. Au départ, c’était le FC Jonquières, puis à partir de 2002 il est devenu le Nîmes-Métropole quand la commune de Redessan a passé la vitesse supérieure. C’est parti du District, un peu comme la section féminine de l’OM, même si on voit bien que les moyens mis à disposition de cette dernière ne sont pas les mêmes. L’OM a grandi très, très vite et c’est dû au fait que leur section féminine est rattachée au club pro, alors que nous sommes un club purement féminin qui a grandi tranquillement et sûrement.

Avec Nîmes cette saison, ça passe ou ça casse : 14 victoires, 3 défaites et aucun match nul. Vous n’aimez pas les concessions ou quoi ?

Déjà, j’aime le beau jeu et que celui-ci soit porté vers l’avant. Sur les défaites : Toulouse (0-1), c’est un but venu d’ailleurs ; l’OM (0-1 à domicile), Caroline Pizzala met un coup-franc dont elle a le secret, et derrière on pousse, mais on manque d’efficacité sans parvenir à revenir au score; et le FA Marseille (1-3), j’en prends l’entière responsabilité, car en tant qu’entraîneur, quand on ne peut gagner un match, il faut savoir ne pas le perdre. Et avec l’état d’esprit insufflé cette année, on est davantage porté sur la gagne, sur cette culture de la gagne qu’on essaie d’inculquer aux filles.  Mais c’est vrai, vous avez bien résumé, aujourd’hui, il n’y a pas de compromis, ça passe ou ça casse...

« Si Nîmes Olympique devait descendre, ce serait un coup de frein énorme pour nous. »

Vous avez un partenariat avec le Nîmes Olympique, tout en étant totalement indépendant, contrairement à ce que beaucoup croient et écrivent, confondant vos deux clubs. Est-ce que la rétrogradation de ce club d’une division l’an prochain pourrait impacter votre propre situation ?

Aujourd’hui, nous avons un partenariat avec Nîmes Olympique. On utilise les infrastructures du club, et on est quasiment autonome sur les plans financiers et de gestion. Nous avions l’intention de finaliser ce partenariat cette année et nos résultats sont favorables pour ce mariage. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’en dehors de Juvisy en D1, toutes les sections féminines ont besoin d’une structure d’appui, de bases solides, et si Nîmes Olympique devait descendre, ce serait un coup de frein énorme pour nous, ça nous mettrait un peu en difficulté pour nous marier avec ce club-là. On peut aussi très bien monter et rester autonome. Mais on n’aura pas assez de moyens financiers, humains, logistiques en termes de structures, pour pouvoir perdurer en D1, car c’est quand même l’objectif, y rester si on arrivait à y accéder. Donc oui, il ne faut absolument pas que Nîmes Olympique descende parce que ça freinerait notre marche en avant, bien qu’on pourrait continuer à vivre sans eux.

L’objectif de Nîmes-Métropole est donc bien une fusion avec le Nîmes Olympique, comme Algrange l’a fait avec le FC Metz à la dernière intersaison ?

Oui, à terme les deux entités le désirent. Après, il faudra se réunir pour que chacun y trouve son compte. Mais je vois que tous les clubs en train de se structurer et perdurer en D1 ont tous un club masculin professionnel avec eux. Donc, à terme oui, c’est de se marier définitivement avec Nîmes Olympique.

D2 : « On est en train de tirer le foot féminin vers le haut. »

Comment jugez-vous globalement le niveau de la D2 en général et du groupe C en particulier ? A-t-il selon vous progressé par rapport aux années précédentes ?

Le niveau de D2 s’est élevé, les écarts se sont resserrés entre équipes de tête et milieu de tableau, bien qu’il y ait quand même un championnat à deux vitesses entre les 7 ou 8 premiers et les 4 ou 5 derniers. Ceci dit, l’homogénéité du championnat, et malheureusement l’OM en a fait les frais, fait que tout le monde peut arracher un résultat contre n’importe quelle équipe. L’OM a concédé deux nuls contre Nivolas. Aujourd’hui, tout le monde peut battre tout le monde, ce qui fait le charme de ce groupe C de D2. Après, la régularité fait qu’à un moment donné des équipes se détachent, comme l’OM, nous, Le Puy, Toulouse. Mais on n'est à l’abri de rien, et on peut rencontrer le 6e ou 7e et se faire accrocher. L’homogénéité du niveau va s’accentuer, puisqu’il va être procédé à une réforme de D2 où il n’y aura plus que deux poules. On est en train de tirer le foot féminin vers le haut.

Êtes-vous surpris que Toulouse n’ait pas réussi à vraiment figurer dans la lutte pour la montée, alors que l’équipe était la grande favorite avec votre propre formation ? Et, à l’inverse, les performances et la ténacité du Puy, jusqu’à ce que vous les battiez récemment chez elles, vous étonnent-elles ?

Toulouse compte beaucoup de joueuses de qualité sur le plan individuel. Mais lorsque les individualités ne se mettent pas au service du collectif, ça devient compliqué. Ça peut passer sur quelques matchs, mais pas sur la durée. Quant au Puy, il connait très peut de mouvements chaque année, une équipe très régulière dans ses performances et ses contenus de matchs. Donc, surpris, non. Elle nous pose régulièrement des problèmes. Mais on sait que l’efficacité offensive et défensive fait la différence à ce niveau-là. Du coup, je ne suis ni surpris par le beau parcours du Puy, ni par la contre-performance de Toulouse.

« Je suis très, très heureux que l’OM mette autant de moyens pour son équipe féminine »

Vous avez déjà joué l’OM deux fois. La première en match de préparation d’avant-saison (2-3 pour Nîmes), la seconde en championnat où vous aviez perdu chez vous, votre seule défaite à domicile (0-1). Quel souvenir gardez-vous de ce dernier match, et que pensez-vous de la saison de l’OM jusqu’ici en tant que promu ?

Le premier match était de préparation d’avant-saison avec un score anecdotique où chaque équipe cherchait des mises en place. On l’a vu d’ailleurs entre le match de l’OM à la même époque contre Saint-Étienne et celui plus tard en Coupe de France avec un score beaucoup plus serré [0-5, puis 0-2]. Un peu pareil avec nos deux matchs : 5 buts pendant la préparation, et puis en championnat un seul… L’OM est en train de bien travailler. Christophe Parra est un bon entraîneur que je connais depuis trois ans et qui fait du très, très bon travail. Il a la chance d’avoir un gros club derrière lui qui lui permet de bosser sereinement, tranquillement. L’équipe est en train de monter. L’accession se jouera entre ces deux clubs. Je leur souhaite de monter la saison prochaine !  (rire) L’OM est un beau club, avec tout ce que cela draine derrière. On le voit quand ils jouent à l’extérieur, ne serait-ce qu’à la Véore lors de la dernière journée, il y avait foison de spectateurs, Véore a organisé une journée spéciale un peu pour ce match. Quand nous nous déplaçons, nous attirons moins de foules, et c’est logique. Mais je laisse les feux de la lumière à Christophe et à son équipe, et nous on continue à travailler dans l’ombre. Dimanche, ce sera encore un match serré où les défenses risquent de prendre le pas sur les attaques. Les deux équipes ont progressé depuis le début de la saison.

Quelques joueuses ou clubs se plaignent parfois un peu du fait que l’OM bénéficie de conditions très avantageuses (installations et structures du club pro, analyse de vidéos, suivi médical, transports, cryogénie, quatre entraînements par semaine, cinq lorsque l’équipe est en déplacement). Si je vous ai bien compris, vous faites davantage partie de ceux qui se réjouissent que des clubs pros mettent autant de moyens pour leur section féminine, plutôt que des « râleurs » qui y voient une concurrence déloyale ?

Oui, je suis très, très heureux que l’OM mette autant de moyens pour son équipe féminine. Si on veut tirer ce foot féminin vers le haut, il faut que les clubs – et je suis très heureux que l’OM le fasse – suivent cet exemple. C’est à partir de là que les sections féminines vont progresser. Comme je l’ai dit précédemment, je serais très déçu que Nîmes Olympique descende parce que j’ai besoin de cette structure-là pour que la fusion se fasse, que la section féminine de Nîmes voit le jour. Je suis donc très favorable à cet engagement de l’OM et je regarde ça avec des yeux ébahis, et je dis « Félicitations ! » au club qui offre tout ça à disposition de son équipe féminine. Il ne faut absolument pas être envieux. Après, chaque club fonctionne avec ses moyens. Mais j’encourage l’OM à continuer dans ce sens-là, et pourquoi pas échanger avec Christophe et son staff pour  voir comment ils fonctionnent, afin d’essayer de se rapprocher nous aussi un petit peu de ce fonctionnement là.

Christophe Parra a l’habitude de dire que c’est formidable de jouer à l’OM en raison du nom et des conditions de travail, mais que les joueuses n’en restent pas moins amateurs, et que la multiplication des séances ajoutée à la très haute exigence demandée par le club et par Christophe lui-même ne rend pas la vie des filles si facile. Plusieurs ont essayé et ont renoncé. Ce qui m’amène à la question suivante : vous, en tant qu’éducateur, comment jouez-vous de cette inévitable contradiction entre exigence du haut niveau et statut amateur ?

C’est le paradoxe du niveau de la D2. Une division purement amateur, et en même temps nous sommes de plus en plus exigeants avec les filles. Ce que je dis aux miennes est qu’il existe deux mondes : celui du haut niveau avec les exigences qui vont avec, et le monde amateur, c'est-à-dire niveau District. À partir de là, on fait un choix. Si c’est celui du haut niveau du foot féminin, cela va entraîner des sacrifices, beaucoup d’exigence et de travail. Le seul inconvénient aujourd’hui est qu’à part des primes de match ou le fait de porter un logo sur son survêtement, c’est la seule rançon, le seul salaire qu’elles ont. Le mérite en est d’autant plus grand pour ces demoiselles qui ont une vie professionnelle, pour la plupart une vie familiale, et une vie sportive. Certains sports, et notamment le foot masculin, devraient s’inspirer de cette humilité, de tout ce travail accompli. Mais le jour où on voudra faire grandir le foot féminin, il faudra professionnaliser la D1 et donner beaucoup plus de moyens aux équipes…

Caroline Pizzala, dans l’ITW donné au site, insistait sur cette nécessité absolue : les jeunes joueuses doivent prendre conscience de cette exigence et des sacrifices de ce haut niveau, par exemple ne pas sortir la veille d’un match. Devez-vous accomplir un travail particulier en ce sens avec vos jeunes joueuses ?

Nous vivons dans une société de consommation au sein de laquelle les enfants grandissent. Leurs objectifs, sortir avec les amis, les jeux vidéos, le McDo, et ainsi de suite… Effectivement, lorsqu’elles arrivent dans un monde où l’exigence et le travail, parfois invisible, doivent prédominer, elles ont un peu de mal à sacrifier tout le côté ludique de leur vie. C’est le rôle des cadres et des anciennes de leur montrer qu’on peut trouver du plaisir dans la rigueur et dans les résultats. Mais on peut expliquer et démontrer des choses pendant toute une année, si vous n’avez pas de résultats vous manquez alors de crédibilité. Si on veut pouvoir amener ces demoiselles à renoncer à sortir, à ne pas manger dans les McDo, ne pas se laisser aller dans la vie de tous les jours, je pense que ça passe par les résultats. Et aussi bien l’OM que nous avons des groupes étoffés, et ce sont ces filles qui arrivent du dessus qui aspirent les jeunes avec elles. Si on fait les sacrifices, on obtient des résultats. Mais c’est très compliqué. Car elles arrivent là avec une vingtaine d’années, et tout d’un coup on passe du côté oisif, des loisirs, à une grande exigence qu’il faut assimiler. Surtout que derrière il n’y a rien, pas de contrat pro, pas d’argent qui leur permettra de dire « C’est mon métier ». À partir de là, elles ont du mal. Mais je crois que c’est un reflet de la société. Quand vous sortez de l’école et n’avez pas de travail, vous ne comprenez pas pourquoi vous avez fait autant d’études pour si peu. Le football n’est qu’un reflet de la société.

« On va à Marseille décontractés »

Dimanche, c’est le grand choc, mais qui ne sera pas décisif puisque, même en cas de défaite vous resteriez leader avec 2 pts d’avance à quatre journées de la fin. L’OM est dépendant de vos propres résultats. Si vous gagnez les 4 matchs qui suivent, vous serez championnes et promues en D1. Mais une défaite dimanche, plus un simple nul dans ces quatre autres matchs, associés à une série de victoires de l’OM les ferait passer devant… Est-ce que, paradoxalement, le fait d’avoir votre destin entre vos pieds – ce qui n’est plus le cas de l’OM –, d’être seuls responsables si ça marche ou pas, ne rajoute pas une terrible pression sur vos joueuses en les responsabilisant au maximum ?

Sur 17 matches de championnat, nous avons été 16 fois en tête du classement. Donc, le club connaît la pression au quotidien. Nous essayons de dédramatiser tout ça, et les cadres travaillent à enseigner la gestion des émotions aux plus jeunes. Mais nous ne programmons pas. Ce qui arrive aujourd’hui est du bonheur, du positif, on n’était pas programmé pour la montée. Par contre, si ça nous tombe dessus, on le prendra les bras ouverts. On sait que si on perd à l’OM, on conservera cette place de leader. Sauf que sur le plan mental, effectivement, la donne changera. On va à Marseille décontractés, libérés de cette pression de résultat.

Craignez-vous cette équipe de l’OM, et si oui, dans quel domaine en particulier ?

On ne craint personne et on respecte tout le monde. Aujourd’hui, si l’OM en est là après 17 journées, ce n’est pas le fruit du hasard.  C’est une très, très belle équipe avec des qualités offensives, défensives. La seule différence entre les deux équipes est que nous avons un peu plus l’habitude de ces confrontations de D2, dans l’appréhension de la gestion de ces matchs. L’OM peut gagner contre n’importe qui – et elles l’ont démontré au match aller –, et peut se faire accrocher par n’importe qui comme à l’avant-dernière journée. Je vais respecter l’OM, comme l’OM va certainement nous respecter. On va laisser la place au football, et que le meilleur gagne !

Quelles Olympiennes aviez-vous particulièrement remarquées au match aller ?

Caroline Pizzala mène sa barque de main de maître, Léa Rubio fait une très belle saison, Anaïs Hatchi avait été dans un état de grâce. Il y a des joueuses que j’ai coachées [à Monteux] et qui ont bien assimilé tous les éléments que je leur ai donnés, comme Hadia [Benabdelghani], Eloïse Vallet, Amandine Blanc… Elles ont un milieu de terrain assez technique, avec des filles puissantes, et je pense que le match se jouera dans ce secteur.

En dehors des deux rencontres disputées contre lui, avez-vous vu d’autres matchs de l’OM cette saison ?

J’ai vu les résumés de leurs matchs sur le site du club. Après, de visu, non, puisqu’on joue en même temps, mais quelques vidéos que j’ai pu me procurer. On voit que l’OM progresse depuis le début de saison et devient une valeur sûre de ce championnat. Et puis tous les médias n’attendent qu’une chose : le classico féminin en D1 ! Alors je vais leur dire : qu’ils attendent encore un peu s’ils veulent bien !

« J’ai beaucoup de respect pour Christophe. »

Quel regard portez-vous sur Christophe Parra ?

Sa philosophie de jeu est basée sur la réflexion des joueuses. J’ai beaucoup de respect pour Christophe. Il est un peu comme moi, parti d’en bas avec son équipe pour arriver quasiment tout en haut. Notre parcours est un peu similaire, de même pour la passion. Il fait du très, très bon travail à l’OM avec les moyens qu’il a, mais encore faut-il avoir les compétences pour amener son équipe à ce niveau, et il les a. Car on peut avoir le beurre et le couteau, et ne pas savoir faire une tartine. Christophe est quelqu’un d’intelligent, qui analyse très rapidement les choses, est capable de mettre une équipe en danger. Comme je le disais, il est porté sur la réflexion des joueuses, en leur demandant de trouver elles-mêmes les solutions, et c’est un peu les éléments que demande la DTN chez les jeunes.

OM-Nîmes est un derby, ce qui est toujours spécial, plus engagé, plus rugueux. Là, de plus, c’est un match au sommet. Quel discours, compte tenu de ce contexte particulier, tiendrez-vous à vos joueuses dimanche ? Allez-vous titiller leur fierté : « Nous sommes le petit club face au tout-puissant OM », quitte à oublier son statut de promu inexpérimenté et de façon à faire retomber la pression ? Ou, au contraire, leur affirmer clair et fort que vous êtes les meilleures et les plus expérimentées ?

Sans vous faire offense, je vais réserver mon discours pour les joueuses…

… je n’avais guère d’espoir que vous me le livreriez, pour être franc !

Mais bon, les grandes lignes... En début d’année, j’avais dit à mes joueuses déjà au club et à celles que j’ai fait venir que nous jouerions pour le plaisir. Ensuite, que tous les matins on se lève et on va faire les sacrifices nécessaires pour jouer ce genre de match. Donc, le jour où on a l’occasion de le vivre, il ne faut pas passer à côté. Ceci dit, je vais être un peu présomptueux : on est, au même titre que l’OM, un des grands clubs de cette division, donc deux grandes équipes vont s’affronter, deux grandes villes qui respirent le football, et j’espère qu’on sera à la hauteur des attentes de l’ensemble du football féminin et du football tout court, pour offrir le plus joli spectacle qui puisse être.

« Quand on est chassé, il faut courir plus vite que les autres. »

Analysons brièvement et sans langue de bois, les différents cas de figure… Vous gagnez et possédez 8 points d’avance à 4 journées de la fin. C’est plié ? Vous montez ?

Je ne vends pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué, alors jusqu’au dernier souffle, la dernière minute du dernier match, je laisserai mes filles sous pression pour pouvoir savourer, si montée il y a. Car c’est dans ces moments de relâchement qu’on peut justement se faire surprendre. Donc, hors de question d’abandonner exigence et pression. Peu importe le nombre de points qu’on aura à l’issue de ce match, on continuera à travailler. Alors, 8 pts d’avance, j’aimerais mieux les avoir que le contraire, ça me laisserait un certain confort s’il y a une erreur derrière. Je préfère être dans ma situation avec mon petit matelas d’avance que dans celle de mes poursuivants. Mais quand on est chassé, il faut courir plus vite que les autres. Donc, pas de relâchement, même si effectivement on commençait à voir le bout du tunnel.

J’évacue le scénario du match nul puisque vous n’en faites jamais et qui maintiendrait un statu quo tout de même en votre faveur.Mais si l’OM vous bat comme à l’aller. Il revient à 2 pts, avec cette fameuse meilleure différence de buts particulière en sa faveur, ce qui serait aussi le cas avec un nul. Il lui restera des matchs plus difficiles que vous, mais trois sur quatre à Marseille : le derby marseillais contre le FAM, Blanzy, Toulouse à la maison pour finir avec, juste avant, un déplacement au Puy. Tandis que vous recevrez Aurillac et Monteux, et vous déplacerez à Claix et Nivolas pour l’ultime journée…

On a le même parcours, le même calendrier. Pourquoi ? Parce qu’il est très, très compliqué d’affronter des équipes qui n’ont plus rien à jouer, et pour qui l’objectif est soit de battre le premier, soit de battre l’OM. Les équipes qui sont dans le « ventre mou », de la 5e à la 10e place et qui ne devraient ni monter, ni descendre, sont peut-être les plus compliquées à jouer. Et c’est le cas de Claix et Aurillac-Arpajon, pareil pour Nivolas. Et Monteux, c’est quand même un derby, nous ne sommes distants que d’une cinquantaine de kilomètres. Donc, je pense que nos calendriers sont similaires.

Et dans l’optique d’une défaite dimanche, avec l’OM revenant à 2 pts de vous, sentez-vous aujourd’hui vos joueuses suffisamment fortes pour ne pas flancher psychologiquement dans la toute dernière ligne droite si elles sentaient à nouveau le souffle de l’OM dans leur cou ?

Je crois qu’on l’a démontré après la défaite à domicile à l’aller. On s’était tout de suite remis en question et enchaîné avec une victoire à Aurillac où il est difficile de gagner, pour montrer que ce n’était qu’un accident de parcours. SI ce devait être à nouveau le cas ce week-end, je remobiliserais de suite les filles en leu disant, « Voilà, on a eu un autre accident, ça arrive, mais derrière il reste quatre matchs avec notre destin entre nos pieds ». Mais effectivement, je pense que celui qui supportera et gèrera le mieux la pression dans ces derniers matchs franchira le cap, touchera le Graal du bout des doigts et montera en D1…

Sur quoi, d’après vous, va se jouer le match ? Tactique, technique, psychologique ?

Les deux équipes ont de grosses qualités tactiques. On l’a vu à l’aller où tout s’est joué dans le cœur du jeu, au milieu. Ce sera sur des détails, comme à l’aller, ce coup-franc qui vient d’ailleurs de Caroline Pizzala avec sa trajectoire complètement folle qui surprend la gardienne qui est pourtant internationale militaire, donc pas une novice. Voilà pourquoi il faudra rester bien concentré sur 95 minutes… La qualité technique existe des deux côtés. Je dirais que l’efficacité dans les deux surfaces peut faire la différence. Oui, sur des détails. Comme en Formule 1 où ça se joue sur les changements de pneumatiques…

Si le sort vous est favorable et que vous montez en D2, que faudra-t-il faire pour éviter l’ascenseur, sachant qu’à partir de l’an prochain deux équipes seulement et non plus trois seront reléguées ? Recruter encore du côté de Montpellier ?

Gouverner, c’est prévoir. Sans vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, quelque part j’ai posé une liste de joueuses sur le papier qui pourraient être bénéfiques en fonction du niveau où on évoluerait. Pour perdurer en D1, il faudra encore mieux se structurer. Je pense avoir l’appui de Nîmes Olympique par rapport à son expérience et toute la partie administrative dont ils disposent, et ensuite faire un recrutement judicieux, ne pas perdre de joueuses. SI l’on devait monter, le match qu’on va jouer dimanche contre l’OM serait notre quotidien. Alors voilà, on y pense, on couche des noms sur un papier en fonction de la division où on évoluera la saison prochaine. Et puis bon, le nerf de la guerre est quand même l’argent, et il faudra multiplier notre budget par deux pour rester au haut niveau.

Est-ce que par hasard sur votre liste de noms cochés, il y a une ou plusieurs Marseillaises ?

(grand rire) Ah, si je réponds oui, Christophe me crève les pneus ! (grand rire) Très honnêtement, bien sûr qu’il y a à l’OM des joueuses qui ont le niveau pour jouer en D1. Si le bonheur m’était donné d’en récupérer une ou deux, je ne m’en priverais pas. Au même titre que Christophe avec les miennes. Je sais pertinemment que s’il devait monter, il ya aussi chez moi des joueuses pouvant évoluer en D1. Après, je pense qu’il y a un attachement énorme [il insiste sur ce dernier mot) des joueuses à leur club de l’OM, donc il sera très, très compliqué de les déloger. Mais qui ne souhaiterait voir sous ses couleurs le milieu de terrain dont Christophe dispose tous les week-ends ?

La dernière question est votre carte blanche. Qu’avez-vous envie de dire pour conclure cet entretien ?

Je voudrais surtout tirer un grand coup de chapeau à l’ensemble du club qui fait un travail énorme au niveau de la formation, de la préformation, des U19, donc l’ensemble des éducatrices. Je voudrais remercier Gabrielle et Manu pour le travail qu’ils font à mes côtés tout au long de l’année. Et puis comme dit précédemment, mettre en valeur l’homme qui est le pilier de ce club féminin,  le Président Taves et son énorme travail, qui donne sans compter. Ce sont bien souvent des personnes dans l’ombre des résultats de la D2, mais sans qui on n’en serait pas là. Et puis féliciter et remercier l’ensemble du groupe avec qui je travaille tous les jours, car elles donnent un plaisir énorme, une grande satisfaction, et malgré le fait que je sois très exigeant et très rigoureux avec elles, c’est un réel bonheur de partager leur quotidien. Et puis merci à vous pour ce très agréable entretien et votre travail qui aide à promouvoir le football féminin, et à mettre aujourd’hui mon club en avant.

C’est mon tour, Gilles, de vous remercier pour ce long entretien, extrêmement sympathique et intéressant. Je remercie aussi l’adorable Sami [Samira Tebbi] qui a fait l’intermédiaire entre nous. Bon match dimanche et, comme vous l’avez dit, que le meilleur gagne !

Peut-être qu’on va fusionner avec l’OM, comme ça on sera sûr de monter tous les deux ! (rires)

© Philippe Serve / Olympiennes et Marseillaises 2015

Entretien réalisé par téléphone le 3 avril 2015.

Photos : ffnmg.net, om.net.

 

 

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